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– Vous traduisez à l’écran un sens absent du cinéma, l’odeur. Comment relève-t-on ce défi ?
« On peut bien sûr filmer quelqu’un qui respire, avec un air inspiré… Mais tout est question de mise en scène. Et j’ai fait un travail de recherche avant. J’ai passé quelques jours avec Christine Nagel, qui est le «nez» d’Hermès. Une femme joyeuse et volubile, pas du tout comme le personnage que j’interprète. Elle parle très bien de son métier. Elle m’a montré l’aspect technique et chimique. C’est quelqu’un d’exceptionnel. »
– Anne Walberg, votre personnage (un « nez »), est émue par une odeur qu’elle reconnaît en sentant un savon, l’huile de coprah. Y a-t-il des odeurs qui provoquent une émotion chez vous ?
« Peut-être pas une émotion, mais des souvenirs oui. Je pense que l’odorat est un sens qui peut vous ramener très loin dans l’enfance, davantage que la vue ou l’ouïe. Il y a des odeurs de pierres chaudes qui me rappellent l’été, quand j’étais enfant. Ou les odeurs de maisons fraîches alors qu’il fait chaud. On partage pas mal de souvenirs grâce aux odeurs. »
– Après le tournage, avez-vous gardé des réflexes d’Anne Walberg ?
« Je suis encore plus sensible aux odeurs, ça peut vraiment me gêner. Et quand je sens quelque chose qui m’intéresse, j’essaie de le décomposer pour savoir de quoi c’est fait. C’est très difficile. »
– Sauriez-vous décomposer le parfum que vous portez ?
« C’est très facile puisque c’est un parfum que j’ai créé avec Christine Nagel. Pour me préparer au tournage, elle m’a fait créer deux parfums, un pour l’été, un pour l’hiver. Comme un cadeau. C’est donc un parfum que personne ne possède. Les notes principales sont le poivre de Sichuan, la bergamote et le jasmin. »
– Avez-vous des traits de caractère en commun avec Anne Walberg ?
« Comme elle, j’ai un petit côté agoraphobe. Je ressens une sorte de timidité, parfois proche de la sauvagerie. Ne pas regarder quelqu’un quand je commande au restaurant, je pense que je l’ai vécu. Ma façon de m’adresser aux gens est parfois très forcée dans le regard, dans le sourire, ça démontre bien que c’est quelque chose que je me force à faire. »
– Les comédiennes se plaignent des rôles qu’on leur propose. Votre filmographie est pourtant de très haute tenue. Est-ce un combat ?
« Une carrière se construit sur les refus, pas sur ce qu’on accepte. Il y a cinq ou six ans, je disais que les rôles féminins étaient stéréotypés, en tant que spectatrice. Les années 70 ou 80 étaient plus intéressants pour les femmes. Les films de Truffaut, Romy Schneider… Petit à petit, ça s’est arrangé. Mais je ne parlais pas pour moi. De toute façon, je n’ai jamais reçu 300 000 scénarios par an. Le peu qu’on me propose me convient. »
– Comment cela s’explique-t-il ?
« Par les ondes. On dégage quelque chose. On n’a pas forcément besoin de parler pour être entendue. Il y a un comportement qui fait qu’on me propose les bonnes choses. »
– À l’inverse, y a-t-il un registre que vous voudriez explorer ?
« Quand on me pose cette question, mon cerveau s’embrume. Je n’ai aucune réponse. C’est brutal, mais j’estime qu’on a ce qu’on mérite. Si je n’ai pas certains rôles – lesquels ? je ne sais pas –, c’est peut-être que je ne saurais pas les jouer. On me demande souvent pourquoi je ne fais pas plus de comédies. J’en fais, à ma façon. Mais je ne saurais sans doute pas faire des comédies populaires. Il ne faut pas tout vouloir. »
«Les Parfums»**
Réalisateur. Grégory Magne.
Interprètes. Emmanuelle Devos, Grégory Montel, Gustave Kervern, Sergi López...
Genre. Comédie dramatique.
Durée. 1 h 40.
Résumé. Anne Walberg est une célébrité dans le monde du parfum. Elle crée des fragrances et vend son incroyable talent à des sociétés en tout genre. Elle vit en diva, égoïste, au tempérament bien trempé. Guillaume est son nouveau chauffeur et le seul qui n’a pas peur de lui tenir tête. C’est d’ailleurs peut-être la raison pour laquelle elle ne le renvoie pas. Tous deux vont cohabiter. Une relation singulière va s’instaurer.
Zone critique
Nez quelque part
Anne Walberg, la star des « nez », manque parfois de flair en termes de relations humaines. Alors elle n’a plus toujours la cote. Invariablement condescendante, sauvage, indomptable, incapable de sortir une phrase sans braquer son interlocuteur… C’est une femme seule.
Guillaume est son chauffeur, du genre consciencieux et empathique, mais carrément aux abois : il a besoin de garder ce boulot, vraiment, pour obtenir la garde alternée de sa fille.
Le rapport de classe saute aux yeux. Et pourtant, l’employé aux ordres, mais rebelle à ses heures, saura se rendre indispensable à la diva déchue, et pas uniquement pour porter les valises d’échantillons. Il est son interprète et lui permet d’accéder à la vie sociale, y compris en lui tenant tête. Les cartes vont être redistribuées.
C’est évidemment la grande qualité de ce deuxième long-métrage du réalisateur Grégory Magne (après L’Air de rien), qui a le bon goût de ne pas nous infliger les fragrances écœurantes d’une romance bon marché. Ce qui l’intéresse, c’est la manière dont chacun des protagonistes peut redonner confiance à l’autre. À ce titre, le duo formé par Emmanuelle Devos et Grégory Montel (l’agent lunaire de Dix pour cent) dégage un arôme singulier, subtil, séduisant, à défaut d’être absolument renversant.
Le film parvient même à traduire par des images ce qui par définition est traditionnellement absent d’un spectacle sur grand écran. L’imagination fait le reste. Ça sent bon le cinéma. C. C.
June 30, 2020 at 09:31PM
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Le jour où nous avons questionné Emmanuelle Devos sur son parfum - La Voix du Nord
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