Wednesday, July 8, 2020

Élégant, sensuel et calmant : pourquoi le jasmin est devenu le roi des parfums ? - ELLE France

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« Pas de parfum sans jasmin. »L'adage du temps des grands classiques, comme le N° 5 de Chanel ou Joy de Patou, reste d'actualité. Selon une estimation du marché, 83 % des parfums féminins (et 33 % des masculins) contiendraient des notes jasminées dans leur composition. « Sur le top 30 féminin, si l'on ne considère que les références qui revendiquent le jasmin dans le cœur floral de leurs parfums, on atteint 85 % », ajoute Sylvain Eyraud, directeur marketing et communication de la maison de composition Takasago. Surnommé « l'or blanc » en Inde, où il est ancré dans la culture depuis l'Antiquité, ou simplement « la fleur » à Grasse, où ses pétales étoilés s'épanouissent pendant l'été, cet incontournable de la parfumerie nous mène littéralement par le bout du nez. Pourquoi le jasmin nous plaît-il donc tant ?

Le roi des fleurs

Si la rose est la reine des fleurs, le jasmin en est le roi. « Je ne peux pas imaginer un parfum floral sans jasmin », dit le nez de Dior, François Demachy, qui n'oublie pas l'odeur enivrante des petits matins d'été de sa jeunesse, quand, rentrant de boîte de nuit en Solex, il croisait les champs de jasmin grandiflorum de sa Grasse natale. Chez Chanel, la fleur se confond avec l'histoire des parfums de la marque et représente un must de la « recette » olfactive. Le parfumeur de la maison, Olivier Polge, rapporte cette anecdote : « Lors de la composition du N° 5, Gabrielle Chanel aurait demandé à Ernest Beaux (qui en signa la composition) quelle était la plus belle matière dans le jus. Il répondit : “Le jasmin.” Elle aurait répliqué : “Alors, mettez-en plus !” » Dans la version Essence de Gabrielle (3), sortie l'année dernière, il apparaît au service de la tubéreuse, dans un bouquet de fleurs blanches incluant l'ylang-ylang et la fleur d'oranger, deux fleurs dont on retrouve aussi l'odeur dans… le jasmin. « La popularité actuelle des notes jasminées suit la tendance des floraux aux fleurs blanches entamée avec Alien de Mugler (12), en 2005 », souligne Judith Gross, directrice marketing, innovation et création de la société de composition IFF. Depuis 2004, la consommation de la variété sambac, cultivée principalement en Inde, a triplé. Chez IFF, la demande a été multipliée par quatre ces cinq dernières années. Pour Jacques Cavallier-Belletrud, nez de Louis Vuitton, la force du jasmin repose sur son caractère multifacette. « L'étendue de la palette du parfumeur se retrouve dans cette fleur, qui représente en elle-même toute une famille olfactive : des notes florales fraîches, fruitées, vanillées, épicées… C'est un parfum en lui-même », précise-t-il.

Pour lui, elle a un autre atout : celui de savoir faire rayonner le parfum et en faire voyager les molécules dans l'air. Sa dernière création, Heures d'Absence (2), qui porte le nom du tout premier parfum Louis Vuitton lancé en 1927 (dont la formule a disparu), est d'ailleurs un hommage aux fleurs de Grasse. Bercé au parfum envoûtant du jasmin grandiflorum (avant de le coucher, sa maman déposait quelques brins de jasmin sur sa table de nuit, habitude qui ne l'a pas quitté), cet enfant du pays est également séduit par la délicatesse du jasmin chinois, celui que l'on utilise pour parfumer les thés. La rencontre du grandiflorum, dont une extraction au CO2 lui assure la pureté, et du sambac de Chine, qui évoque l'odeur du pittosporum que l'on voit fleurir au printemps sur la Côte d'Azur, marque le cœur floral à la fois vif et évanescent du jus. « Tout bêtement, qu'est-ce qu'elle sent bon ! » s'emballe François Demachy pour expliquer la popularité de la fleur. « D'autre part, c'est une odeur rassurante. Le jasmin pousse un peu partout, sauf sous des climats froids, donc on l'a tous dans notre répertoire olfactif », ajoute-t-il. Pour Sylvain Eyraud, « il a une connexion mondiale qui sert de valeur refuge auprès des consommateurs. C'est un produit qu'ils connaissent et qui est gage de qualité ».

Variations sur un même thème                                            

Malgré les nombreuses variétés de la plante (environ 200), deux seulement sont utilisées en parfumerie : le grandiflorum (plus capiteux et animal) et le sambac (plus vert et plus proche de l'effet fleur fraîche). Le premier, spécialité grassoise depuis le XVIIe siècle, quand les tanneurs locaux ont commencé à utiliser les essences florales pour dissimuler l'odeur du cuir, est aujourd'hui cultivé en quantités très limitées par quelques producteurs de la région. « Au fur et à mesure que l'hygiène se diffusait dans la société, les fleurs furent privilégiées par rapport aux notes ambrées, capiteuses et animales de l'époque de Louis XIV », explique le nez Francis Kurkdjian. Comme pour la rose centifolia, autre pépite du terroir grassois, la quasi-totalité de la production locale est réservée à deux maisons, Chanel et Dior, qui ont établi des partenariats avec les cultivateurs locaux il y a des années. Le « jasmin de référence », comme l'appellent les nez avisés, doit ses qualités olfactives aux conditions climatiques particulières de la région. « Frileux, le jasmin adore le soleil et supporte mal le froid. Sa réaction de défense lorsqu'il fait frais est de produire beaucoup de fleurs, qui sont les organes de reproduction de la plante », explique François Demachy. Symbole d'amour, de féminité et de séduction, la variété sambac est, de son côté, partie prenante de la culture indienne. Tressé en colliers et en guirlandes pour orner les cheveux des femmes ou pour servir d'offrandes et décorer les cérémonies, il déploie son sillage opulent dans les marchés aux fleurs – et l'industrie du parfum doit se contenter des invendus, soit 10 % de la production totale. Les fleurs doivent par ailleurs être traitées et transformées sur place, car, une fois cueillies, elles ne se conservent pas plus de vingt-quatre heures.                                                                                        

Ceci n'est pas une fleur               

Mais, attention : qui dit jasmin ne dit pas toujours fleur. « Il y a environ cent composants dans le jasmin, comme l'acétate de benzyle, l'indole et l'hédione, trois molécules synthétiques très utilisées par les parfumeurs », explique Francis Kurkdjian. « La quasi-totalité des parfums aujourd'hui a une facette jasminée, car l'hédione est présente dans toutes les compositions », estime Sylvain Eyraud. À 70 000 euros le kilo pour la variété grandiflorum et 4 000 euros pour le kilo de sambac, dont les récoltes sont faites à la main, le jasmin est l'une des matières premières les plus chères de la palette : il faut 700 kilos de jasmin de Grasse pour obtenir 1 kilo d'absolue (concentré obtenu après la transformation des pétales). Cette contrainte de prix explique pourquoi plusieurs parfumeurs font appel aux versions synthétiques. Un parfum jasmin sans jasmin ? Tel était le pari de Jean-Claude Ellena avec Jasmin de Pays de Perris Monte Carlo (8).                

Le nez a reconstitué le jasmin grandiflorum sans employer une seule goutte d'absolue. Sorti en 2019, le jus mérite une place parmi les classiques jasminés, aux côtés de Samsara de Guerlain, dont l'exotisme repose sur la rencontre du jasmin avec une surdose de santal ; de J'Adore de Dior (9), premier grand parfum à utiliser le jasmin sambac en quantité ; d'Alien de Mugler, dont le bouquet de fleur d'oranger, de jasmin et d'héliotrope s'entremêle avec un trio d'épices ; de Jasmin Noir de Bulgari (11), où la fleur se présente crémeuse, presque gourmande ; de Jasmin Rouge de Tom Ford (13), qui pousse sa vocation orientale et opulente ; de Cèdre Sambac d'Hermès (14), symbiose entre un jasmin brut et le bois de cèdre ; et d'À la Nuit de Serge Lutens (10), dont le mélange de jasmins recrée l'odeur envoûtante du moment où les fleurs s'ouvrent et libèrent leur parfum. Parmi les derniers lancements, on le retrouve cristallin, presque aquatique, dans Ocean di Gioia de Giorgio Armani (5), acide et fruité dans Coach Dreams (1), en toile de fond pour laisser rayonner une rose complice dans la déclinaison Bloom of Rose de Mon Guerlain (6), version cocooning dans Bubble Bath de Maison Margiela (7), où il est sublimé par la noix de coco, et presque imperceptible, juste assez pour apporter un peu de lumière au musc ambrette, dans Parisian Musc de Matière Première (4).                                            

Brume antistress                

Si son empreinte sensuelle et son pouvoir aphrodisiaque ont toujours été reconnus – selon la légende, Cléopâtre, arrivant par la mer, parfumait les voiles de ses bateaux de jasmin pour rendre fou Marc Antoine avant même qu'il ne l'ait vue –, une étude menée par des chercheurs allemands de l'université de la Ruhr à Bochum révèle une autre facette du jasmin : son pouvoir calmant. Il serait, selon cette étude publiée dans le « Journal of Biological Chemistry », « aussi efficace que le Valium » pour calmer le stress et l'anxiété. Inhaler son parfum permettrait de multiplier par plus de cinq les effets du GABA, neurotransmetteur qui régule l'activité du système nerveux central – et ce, sans effets secondaires. Des chercheurs de la Wheeling Jesuit University ont découvert que vaporiser du jasmin dans une pièce « conduisait à une plus grande efficacité du sommeil ». L'ayurveda reconnaît ses vertus calmantes, et utilise aussi le jasmin pour ses propriétés sédatives mais aussi pour soulager les maux de tête. « La parfumerie et l'aromathérapie sont deux métiers distincts. Comme un joaillier qui travaille la pierre pour l'embellir sans se pencher sur ses propriétés, le parfumeur sublime la matière sans pour autant s'intéresser aux effets des ingrédients. Mais peut-être que la crise déclenchée par le Covid-19 changera le paradigme et qu'à l'avenir on travaillera davantage la dimension bien-être dans le parfum ? » s'interroge Francis Kurkdjian.                                           

TROUVER SON JASMIN                

Si vous n'avez pas encore le parfum jasminé qui vous transporte, sachez qu'il est possible de le concocter soi-même, à la maison, sur mesure. C'est ce que propose The Alchemist Atelier grâce à son atelier de création en ligne : on reçoit un kit découverte chez soi (seize bases et dix-huit accords développés par les parfumeurs d'IFF et permettant de créer une myriade de formules), on télécharge l'application de la marque et on prend rendez-vous avec l'un des parfumeurs. Puis, conseillé par ce dernier, on choisit ses notes et on règle les quantités selon ses envies. Le lexique simple des bases et des accords ainsi que les images aident à guider nos nez non initiés, et, même si on ne peut pas trop se tromper, car toutes les compositions ont été conçues pour coexister en harmonie, il faut s'entraîner : sentir et comprendre ce qu'il manque, ce qu'il y a de trop… D'où l'intérêt, pour ceux que le sujet intéresse, d'avoir chez soi le Scent Creator (350 €), petite machine au design épuré qui assemble nos créations, à la goutte près, en deux minutes chrono. « L'idée, c'est de pouvoir créer son parfum le matin selon son humeur », explique la parfumeuse Samantha Akhondi-Arsi. En quelques instants, un flacon d'essai est prêt à sentir et à porter. 85 € pour une séance (de 90 à 120 mn), un kit découverte et la création de deux parfums de 5 ml.




July 08, 2020 at 07:08PM
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